La Ruche qui dit Oui ! des “consom’acteurs” au cœur d’une consommation expérientielle

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La Ruche qui dit Oui (ou LRQDO) est une start-up alimentaire de vente à distance montée en 2010 à Paris par le designer Guilhem Chéron et l’ancien chef de projet Web Marc-David Choukroun. Le concept consiste à réunir des consommateurs pour passer des commandes groupées à des petits producteurs locaux. Une Ruche est un point relais, installée par un particulier volontaire qui a rassemblé dans son entourage un réseau d’amis, de voisins, d’amis de voisins etc…Chaque producteur définit son offre qu’il diffuse sur le site internet de LRQDO. Les membres passent alors commande et quand le minimum de commandes est atteint : « La Ruche a dit Oui ». Le producteur livre ses produits à la Ruche et les membres viennent récupérer leur panier sur place.

La mise en œuvre des Etats généraux de l’alimentation en 2017, ou plus récemment le renouvellement de la Politique Agricole Commune (PAC), ont mis l’alimentation au cœur des enjeux sociétaux, écologiques et économiques. Depuis les années 2000 déjà, les consommateurs montrent un engouement à l’égard des circuits courts alimentaires, – 71% des consommateurs français estimant qu’il est important d’acheter local (Merle et al., 2016). Le circuit court alimentaire (CCA) est défini ici comme un mode de production et de consommation alternatif aux circuits longs de distribution, caractérisé par une relation entre un consommateur et un producteur ne comportant pas plus d’un intermédiaire et reposant sur le critère central de la proximité (Beaudouin et Robert-Demontrond, 2016).

Le développement des NTIC a par ailleurs permis l’avènement d’un « consommateur acteur de son expérience de consommation mais aussi protagoniste de la constitution de l’offre et du mix de l’entreprise » (Cova, 2008). A l’heure où la consommation responsable est au cœur de l’existence de l’individu et dans un contexte où les préoccupations sociétales et environnementales impactent incontestablement l’acte d’achat, La Ruche qui dit Oui a fait le pari gagnant de rapprocher le consommateur du producteur. L’objectif est double : donner du pouvoir au consommateur et valoriser la production agricole locale.

La start-up, entreprise de l’économie sociale et solidaire, a ainsi saisi cette tendance du circuit-court en l’intégrant dans sa stratégie de distribution, les Ruches se faisant l’intermédiaire entre producteurs et consommateurs. Ces dernières se multiplient aujourd’hui en France et en Europe pour couvrir tout le territoire dans une stratégie d’expansion. Pour ne rien perdre de l’avènement du digital, qui a éclaté avec la crise du Covid-19, LRQDO a adopté la vente en ligne via le Click & Collect comme format de distribution au sein du canal de distribution classique qu’est la vente à distance. Les membres commandent en effet sur Internet et viennent récupérer leur panier en point de vente physique dans les Ruches à proximité de chez eux. L’entreprise peut se définir comme une forme hybride ou de « Click & Mortar », ayant une activité en ligne et en point de vente physique.

Depuis 2018, la start-up va encore plus loin en lançant « La Ruche qui dit oui à la Maison » : un service de livraison en 24h à domicile en Ile-de-France exclusivement qui consolide sa stratégie d’expansion. L’enjeu est de mettre le consommateur au cœur de la stratégie en livrant directement les produits locaux chez lui, le rapprochant davantage du producteur. Le consommateur n’est désormais plus considéré comme un acteur exclusivement utilitariste et rationnel, mais est appréhendé comme un  individu acteur et producteur de sa

consommation par laquelle il matérialise sa quête de plaisir, d’émotions et de sensations. C’est ici le point de départ d’une consommation expérientielle.

Comment « La Ruche qui dit Oui » a réussi le pari de rapprocher les producteurs des consommateurs, en créant une expérience de consommation, rendant ces derniers acteurs ou « consom’acteurs » de leurs achats ?

Au travers de cette étude documentaire, il s’agira d’approfondir la stratégie d’expansion de La Ruche qui dit Oui, à l’heure où le digital et la revalorisation du circuit court sont deux tendances clés pour l’acte d’achat du consommateur. Seront mis en évidence les éléments clés adopté par la start-up pour se différencier de la concurrence en proposant une expérience de consommation, ainsi que la réorganisation de cette expérience.

Une journée à Rueil Malmaison #1, Parisalouest.com

——————— Analyse de l’environnement ———————-

La stratégie de la Ruche qui dit Oui est indissociable de l’environnement dans lequel elle s’inscrit. Cet environnement permet de mettre en évidence les forces et faiblesses de ce concept et de soulever les facteurs clés de succès de la start-up.

Analyse SWOT

Facteurs clés de succès

En complément de l’analyse SWOT, il convient d’identifier les facteurs clés de succès (ou FCS) de La Ruche qui dit Oui. Les FCS sont un élément essentiel à prendre en compte pour s’attaquer à un marché, ici le marché alimentaire du circuit court. L’entreprise en question doit ainsi maîtriser ses FCS pour rester compétitif et perdurer sur son marché.

Tout d’abord, l’un des facteurs clés de succès indispensables à maîtriser sur le marché alimentaire reste la qualité et variété des produits. Ce facteur est d’autant plus essentiel dans le cadre du circuit court mettant en étroite relation le consommateur avec le producteur. La Ruche qui dit Oui veille donc bien à sélectionner ses producteurs pour remplir sa promesse de vente de proposer aux consommateurs des produits sains, de qualité, dénaturés d’une ultra transformation industrielle. La Ruche laisse aux propriétaires qui se lancent dans l’ouverture d’une Ruche en totale autonomie dans le choix des producteurs. Néanmoins, puisque le chiffre d’affaires de chaque Ruche en dépend, et in fine la rémunération du propriétaire, les Ruches offrent par nature des produits de qualité issus d’agriculteurs à proximité. La fixation du prix doit aussi être raisonnable pour être accessible aux consommateurs tout en étant suffisamment élevée pour attester de la qualité des produits. Puisque c’est le producteur qui fixe son prix, la connaissance de ses produits assure un prix proportionnellement représentatif de leur qualité.

Autre facteur clé indispensable est la mise en place de points de ventes à la localisation géographique stratégique. Pour pouvoir faire concurrence aux autres circuits de distribution, qu’ils soient courts comme La Ruche qui dit Oui ou longs, la Ruche doit couvrir le maximum du territoire pour offrir à davantage de consommateurs l’opportunité d’acheter les produits. Les Ruches sont en effet situées tant en campagne que dans des zones urbaines. Cette répartition étalée permet de connecter la ville et la campagne, constituant une opportunité de revenu pour les producteurs sachant que la majorité des consommateurs sont concentrés en zones urbaines. Pour autant, les campagnes ne sont pas mises de côté. Au contraire, c’est ici que se trouve la matière première d’une part, et d’autre part répondre aux besoins de tous consommateurs répond à la stratégie de La Ruche qui dit Oui, dont le cœur de cible est tant les citadins, les périurbains que les ruraux.

Par ailleurs, un facteur clé à maîtriser reste l’outil digital. Sa maîtrise doit être irréprochable pour les acteurs de l’e-commerce dont le modèle dépend entièrement de cet outils technologique. Les biens matériels sont commandés par Internet mais livrés par les moyens classiques de la distribution physique. La vente en ligne est ainsi une nouvelle technologie d’édition de catalogue et de passation de commande. La Ruche qui dit Oui a ainsi son site Internet qui est géré au quotidien par un service de plus de 50 personnes. Ces dernières travaillent au développement de la plateforme en ligne, assurent le bon support technique et commercial, et veillent au bon développement du réseau des Ruches. 11,65 du chiffre d’affaires hors taxes revient ainsi à cette équipe. La plateforme présente la mission de la Ruche ; le consommateur remplit un questionnaire pour devenir membre. Une fois inscrit, sans aucune obligation d’achat ni minimum d’achat, le consommateur entre la ville dans laquelle il se situe pour voir quelle est la Ruche la plus proche de chez lui via une carte interactive. Après sélection, il peut passer commande comme sur un site de grande surface en ajoutant dans son panier les produits qu’il veut et en quantité souhaitée. Le paiement se fait en ligne de façon sécurisée. Puis, il choisit sa date et heure pour récupérer sur place son panier déjà préparé. Tous les produits sont disponibles puisqu’il n’existe pas de rupture de stocks, les producteurs constituant leurs paniers après commande des consommateurs. Le parcours client en ligne est par conséquent très fluide, simple et rapide pour rendre le service accessible à tous. L’entreprise maîtrise également la visibilité de son réseau via les réseaux sociaux, ayant un compte Facebook et Instagram. Ces deux plateformes font partie de la stratégie de communication digitale de LRQDO pour toucher sa cible, acquérir de nouveaux clients, et ainsi faire connaître le concept.

Enfin, un facteur clé secondaire, presque lié à l’avantage concurrentiel de la Ruche qui dit Oui, est le maintien et la communication sur l’image de marque. Pour attirer les consommateurs et les producteurs, et ainsi faire naître et vivre les Ruches, l’entreprise ne doit pas perdre sa promesse de base qui est de connecter consommateurs et producteurs autour d’une alimentation plus saine et responsable. Ce maintien de l’image de marque s’accompagne de la fidélisation de chacun de ses acteurs : par l’assurance d’une juste rémunération et valorisation des producteurs, et l’assurance d’offrir des produits de qualité aux clients. Ce facteur clé de succès fait le liant entre tous les facteurs évoqués précédemment. Ainsi, les ruches communiquent sur leurs producteurs sur le site web en mettant des visages sur leur nom et en insistant sur le processus de rémunération. De plus, les paniers sont personnalisés puisque le consommateur peut y trouver un petit livret avec la présentation des produits et de leurs producteurs, humanisant la démarche. Certaines Ruches organisent également des rencontres entre les membres et les producteurs, au travers de dégustations par exemple. Le membre vit dès lors une expérience « physique » de consommation. Les Ruches sont par conséquent des lieux d’échange et de convivialité qui permettent le bon fonctionnement de la start-up. Néanmoins, avec le Covid-19 et la préférence accrue pour les « pure-players », ce facteur semble érodé, d’où la nécessité pour l’entreprise de se réinventer.

En revanche, la maîtrise de ces facteurs clés ne garantit pas le succès de la Ruche qui dit Oui, qui dépend de l’acquisition d’un ou plusieurs avantages concurrentiels. L’objectif est de se différencier des concurrents et de gagner le cœur de la cible. Ceci nous amène au problème organisationnel de la start-up qui l’a encouragée à trouver de nouveaux choix stratégiques pour répondre aux nouvelles tendances du marché et au contexte économique et sanitaire, afin d’obtenir un nouvel avantage concurrentiel actualisé.

——————— Problème organisationnel ————————

La Ruche qui dit Oui comprend aujourd’hui plus de 1500 implantations essaimées dans neuf pays en Europe (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne etc…) dont 850 en France. L’entreprise a noué des relations avec 10 000 producteurs et 210 000 consommateurs. Selon les derniers chiffres communiqués sur le site internet, l’entreprise enregistre une croissance en France de 30 % par an. Le succès a été immédiat dès la création en 2010, face à l’érosion croissante de la confiance des consommateurs envers la grande distribution et leur volonté de reprendre le contrôle de leurs achats. L’entreprise, qui emploie aujourd’hui 70 salariés, est par ailleurs en relation avec la Chambre d’Agriculture qui l’informe de producteurs en difficulté qu’elle tâche ensuite d’intégrer à son fonctionnement.

L’entreprise n’a eu de cesse de multiplier les ouvertures de nouveaux points de ventes, les Ruches, dans une stratégie d’expansion pour connecter au mieux les consommateurs, les producteurs et les territoires. C’est le cas en Ile-de-France notamment. Pourtant, aujourd’hui seulement 1% de ce qui est consommé en Ile de France est produit en Ile de France. Par conséquent, multiplier le nombre de Ruches ne suffit plus pour répondre aux besoins des consommateurs. Cette stratégie d’expansion n’est plus suffisante, surtout au regard de la hausse du e-commerce et de l’intérêt croissant des individus pour les entreprises « pure-players », ne souhaitant pas toujours se déplacer pour se rendre dans les points de vente physiques. Son principal concurrent, La Fourche – un magasin bio en ligne – , l’a bien compris en proposant dès ses débuts un service de livraison à domicile ou en points relais.

Le problème organisationnel qui s’est posé à la Ruche qui dit Oui a été donc de continuer à croître sans perdre la philosophie initiale. En 2015 d’ailleurs, les AMAP (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) avaient accusé l’entreprise, pourtant agrémentée d’entreprise sociale et solidaire, de dévoyer la philosophie des circuits courts. Les critiques ont notamment pointé du doigt l’absence de communication des résultats financiers de l’entreprise, son business florissant marqué par des levées de fonds et enfin ses actionnaires initiaux qui sont deux géants d’Internet : Xavier Niel et Marc Simoncini.

 Ces critiques ont pu entacher l’image de marque de l’entreprise auprès des consommateurs et producteurs, critère évoqué précédemment dans les FCS de la Ruche. A trop vouloir s’étendre sur le territoire dans un but peut-être financier, l’entreprise a pris le risque de perdre sa promesse éthique de base qui est de rapprocher les consommateurs et producteurs, revaloriser la production locale et offrir une alimentation responsable et de qualité.

L’enjeu a donc été de consolider le modèle, sur la base de la consommation expérientielle, par de nouvelles fonctionnalités et une nouvelle communication en réorientant la stratégie d’expansion afin de faire évoluer sainement le réseau.

————————– Choix stratégiques ————————–

En dépit des critiques, la Ruche qui dit Oui n’avait en réalité pas changé la commission sur les ventes qu’elle prend aux producteurs qui est de 8,35% pour le responsable de la Ruche et 8,35% pour la maison mère. Les denrées alimentaires sont en moyenne produites à maximum 50km, conservant le critère local des produits. La promesse de base a donc toujours été conservée. Le problème résultait plutôt du management stratégique du réseau de points de vente, l’ouverture exponentielle de toujours plus de Ruches ne répondant plus aux besoins des consommateurs.

La solution pour conserver son image de marque a donc été de proposer de nouvelles fonctionnalités et une nouvelle communication sur ses réseaux sociaux pour bien être transparent sur son fonctionnement, et renouveler l’offre d’expérience.

La Ruche qui dit Oui a ainsi adopté en 2018 une stratégie  d’expansion par acquisition en rachetant le Comptoir Local à Paris pour se lancer dans la livraison à domicile en Ile-de-France avec le concept de « La Ruche qui dit Oui à la maison ».

La Ruche qui dit oui.fr

Le Comptoir Local a été créé en 2015 pour livrer à domicile des produits frais et locaux aux Franciliens. En rachetant l’entreprise, LRQDO a lancé début 2018 des « mini-ruches » au sein de ce nouveau concept. Au lieu d’obliger les clients à retirer leurs paniers dans des Ruches physiques, ces dernières relaient ce service à des spécialistes de la livraison, via les partenaires du Comptoir Local, ou livrent elle-même. Les membres peuvent donc passer commande sur le site « La Ruche qui dit Oui à la maison » auprès des 160 ruches d’Ile-de-France. Ils sont livrés en 48h  avec une livraison offerte dès 80 euros d’achat. Sinon, le tarif de la livraison dépend d’une fourchette de prix selon le montant de la commande.

Le consommateur perd ici la dimension « physique » de l’expérience de consommation, puisqu’il ne se rend plus sur place pour récupérer son panier. Néanmoins, cette dimension expérientielle est renouvelée en s’invitant directement au domicile du consommateur, le rendant acteur d’une autre manière. A l’heure où le service à domicile trône dans la consommation des français et avec l’arrivée du Covid-19 en 2020, cette innovation ne peut qu’être porteuse de succès aujourd’hui.

Ce tournant a aussi été marqué par le départ des deux fondateurs et l’arrivée de Grégoire de Tilly, ex-directeur général de Spartoo, donnant un nouveau souffle a modèle. Face à la montée de concurrents dans les circuits courts et l’agriculture urbaine, et l’existence de pure-players déjà bien implantés dans les services de livraison, l’enjeu pour LRQDO est de conserver son avance. L’objectif de la mise en place de ce réseau omnicanal est de revaloriser d’une part les producteurs locaux autour de Paris, sachant que la consommation de leurs produits est très faible en région parisienne puisque les habitants préfèrent se tourner vers les grandes enseignes. D’autre part, ce service de livraison permet d’acquérir de nouveaux clients adeptes des courses par Drive ou par livraison à domicile, qui peuvent désormais se tourner vers les produits des Ruches au lieu de commander auprès d’autres enseignes. Cette stratégie permet par conséquent de mieux adapter l’offre au contexte local de la région parisienne.

Mais cette évolution organisationnelle s’est aussi étendue à tout le territoire français via la mise en place de nouvelles fonctionnalités et d’une nouvelle stratégie de communication, enrichissant l’expérience consommateur.

Sur le site web de la marque, quelle que soit la localisation des Ruches, plus de produits sont désormais disponibles. De plus, certaines Ruches hors région parisienne n’ont pas attendu d’avoir « La Ruche qui dit Oui à la maison » s’étendre jusqu’à elles pour se lancer elles-mêmes dans une diversification des services de livraison, boosté par le 1er confinement 2020 lié au  Covid-19.  C’est le cas par exemple des Ruches de la ville d’Auray en Bretagne, qui envisage même de livrer à vélo électrique, ou certaines Ruches dans le Tarn en Occitanie.

A cet égard, pendant le 1er confinement, 547 producteurs et 47 171 consommateurs ont rejoint le réseau français, dont 5 902 consommateurs supplémentaires en Ile-de-France. Cette hausse confirme bien que l’entreprise n’a pas tant besoin d’ouvrir de nouvelles Ruches, mais qu’une simple consolidation du modèle permet de pénétrer davantage le marché, fidéliser le clients existant et conquérir de nouveaux clients.

De plus, LRQDO a lancé un magazine numérique « Oui ! » qui propose aux clients des « recettes simplettes »  à base de produits proposés par l’ensemble des Ruches. Ce magazine permet de se rapprocher des clients jusqu’à chez eux puisque le magazine est envoyé par mail, tout en facilitant leurs courses avec des recettes présélectionnées.

Au niveau de la communication, le site web « La Ruche qui dit Oui à la maison » met en avant chaque producteur de la région parisienne dans un onglet qui leur est spécialement dédié. La page présente l’exploitation, l’histoire de leur savoir-faire, accompagné d’une photo des producteurs associés. Cette page permet d’humaniser davantage LRQDO, de renouer avec la promesse de base de rapprocher le producteur du consommateur, tout en apportant une confirmation au consommateur que son geste compte pour autrui. Une communication d’autant plus pertinente en région parisienne.

Enfin, la page Instagram créée initialement pour communiquer sur les actualités des Ruches a réorienté sa communication depuis 2018 : la page propose désormais des DIY écologiques (exemple : recette de savon fait maison), communique de manière pédagogique sur les fruits et légumes du mois, sur l’actualité en politique alimentaire etc…La start-up y partage également des initiatives solidaires comme en ce moment « L’opération Noël solidaire » qui consiste à venir en aide aux sans-abris, ou des entreprises éthiques avec une mission autour du développement durable. L’objectif de cette page Instagram est ainsi d’enrichir le message de La Ruche qui dit Oui par une communication encore plus axée éthique, solidarité et écologie, au cœur de la mission de la start-up. Surtout, opter pour les réseaux sociaux permet d’atteindre plus de clients, notamment des jeunes consommateurs investis dans la cause défendue par l’entreprise.

Toutes ces nouvelles fonctionnalités, de la livraison au magazine, en passant par les réseaux sociaux, permettent de se rapprocher davantage du consommateur, et de lui donner plus de ressources en main pour s’approprier sa consommation. En s’immisçant jusqu’à son domicile, celui-ci devient encore plus acteur, orientant son quotidien au service de la valorisation des producteurs et des produits locaux. L’offre expérientielle de la Ruche qui dit Oui a donc pu être renouvelée en s’adaptant à la concurrence et aux nouvelles tendances de consommation.

La ruche qui dit oui : Place de l’Ormeau, Lonama.com

—————– Confrontation avec la littérature ———————-

L’expérience de consommation est ainsi aujourd’hui un critère important dans les choix des consommateurs, d’autant plus répandue dans les nouvelles formes de distribution. L’article « Une lecture expérientielle du phénomène de consommation en circuit court alimentaire » par Vanessa Beaudoui, Laure Sugier et Philippe Robert-Demontrond, paru dans la revue Management et Avenir en 2018, fait parfaitement la synthèse de cette expérience d’approvisionnement au travers de six dimensions.

En se basant d’abord sur un étude de la littérature, puis en menant une enquête ethnographique sur le terrain de 2007 à 2017, les auteurs ont en effet noté une quête de « réenchantement » de la part des consommateurs au travers de leurs courses ordinaires. Il s’agit de leur apporter une ou plusieurs valeurs ajoutées, que ce soit par l’empowerment, les rendant « consom’acteurs », par la spiritualité, l’hédonisme, la création d’un lien social avec les producteurs et/ou entre consommateurs etc… L’analyse a fait apparaître six dimensions de l’expérience de consommation en CCA, renseignant sur les motivations des consommateurs.

« Une lecture expérientielle du phénomène de consommation en circuit court alimentaire » par Vanessa Beaudoui, Laure Sugier et Philippe Robert-Demontrond, paru dans la revue Management et Avenir en 2018

Or, La Ruche qui dit Oui a su répondre à chacune de ces dimensions, en répondant même au problème posé par la contrainte temporelle via la mise en place de la livraison à domicile en Ile-de-France en 2018 (aujourd’hui en développement sur le reste du territoire).

  1. 1) Rhétorique

Selon les auteurs, la consommation en CCA participerait à la construction identitaire de l’individu en le rendant acteur responsable d’une consommation plus responsable. En choisissant LRQDO, le consommateur fait un choix réfléchi puisqu’il sait que son geste permettra de revaloriser le producteur local, d’avoir une emprunte carbone moindre en privilégiant le local et de lui offrir une alimentation saine. L’expérience de consommation repose donc sur l’éthique par un impact positif global sur la communauté et la planète : par l’écologie, la justice sociale et la défense de l’économie locale. Ces critères ne font que motiver l’individu, d’où le renouvellement de la stratégie de communication de la start-up qui a choisi de davantage insister sur ces points.

  • 2) Praxéologique

La praxéologie est une science qui analyse l’action humaine. Ici, il s’agit de montrer qu’en choisissant les CCA, l’individu devient « consom’acteur » en concrétisant par l’action la rhétorique de l’expérience évoquée précédemment. Les consommateurs reprennent le contrôle de leur consommation en choisissant de ne pas être passifs face aux grandes distribution et à la surproduction industrielle. Selon l’article, cette réappropriation de la consommation passe par trois modalités d’action : le « buycott » soit l’achat de produits locaux en CCA ; le boycott en décidant de moins consommer les produits industriels et transformés, et enfin la prise de parole pour essayer de faire évoluer les pratiques des amis, famille, voisins etc…La Ruche qui dit Oui s’inscrit d’ailleurs dans cette incitation au consumérisme politique en décidant de laisser chacun libre de créer sa propre Ruche. De plus, depuis décembre 2020, l’entreprise a lancé sa première campagne de publicité grand public : diffusée en display puis en affichage métro jusqu’à janvier, la campagne met en avant les bénéfices du CCA et du local autour de 4 thématiques : traçabilité, équité, écologie et respect des saisons.

  • 3) Sociale

Tout comme les AMAPS, la Ruche qui dit Oui s’inscrit dans l’économie du lien, typique des circuits courts alimentaires réduisant au maximum les intermédiaires. L’échange marchant possède dès lors une valeur sociale faisant de l’expérience d’achat un moment de rencontre. Les Ruches privilégient ces moments en faisant venir le consommateur sur place et en organisant des évènements autour comme des dégustations, des rencontres avec les producteurs et autre. Avec la mise en place de « La Ruche qui dit Oui à la maison » et son service de livraison, l’entreprise est néanmoins vigilante à essayer de conserver ce lien en insérant dans les colis un descriptif des paniers et de leurs producteurs. Le renouvellement de la communication média permet aussi de conserver ce lien.

  • 4) Temporelle 

La dimension temporelle de l’expérience en CCA est à double tranchant : en effet, le consommateur peut avoir le sentiment de perdre du temps de la réflexion à l’acte d’achat, contrairement à l’acte rapide que constitue l’achat en grande surface. Pour autant, l’un des objectifs du circuit court est aussi d’apprendre à ralentir symboliquement le temps face à la frénésie de notre société de consommation. La Ruche qui dit Oui a su être innovante en répondant à la contrainte temporelle tout en incitant à adopter les valeurs de la « slow life ». En effet, du « Click & Collect » à la démocratisation du service de livraison, l’entreprise a su se réorganiser pour rendre son service encore plus rapide et pratique. Or, ce sont deux critères de choix aujourd’hui pour les consommateurs, surtout face à la concurrence des « pure players » et des services de livraison. A ce titre, l’enquête de l’article révèle que pour certains consommateurs, la contrainte temporelle demeure une contrainte qu’ils contournent en combinant plusieurs circuits de distribution. Avec son nouveau service de livraison, LRQDO s’assure donc un quasi-monopole face à ce risque. Pour autant, l’entreprise n’a pas perdu son éthique en invitant les membres à prendre le temps de réfléchir à leur consommation.

  • 5) Spirituelle

Le circuit court alimentaire permet aussi de recentrer spirituellement le consommateur vers des valeurs plus essentielles et vertueuses. Il s’agit d’avoir une consommation non plus égoïste mais tournée vers Autrui. Grâce à la Ruche qui dit Oui, le consommateur agit pour la planète, pour le producteur, puis pour lui-même.

  • 6) Hédonico-sensorielle

Enfin, l’expérience de consommation en CCA constitue un divertissement ludique. Les Ruches jouent dessus en alimentant leur activité de diverses animations : dégustations, rencontres, démonstrations etc…qui permettent de stimuler les sens (odorat, toucher, goût). Le consommateur dépasse donc le simple achat, mais part à la découverte d’un plaisir hédonique et sensoriel. L’entreprise a même su enrichir cette proposition via son magazine en ligne en offrant des recettes à ses membres. Le plaisir s’étend alors jusqu’à l’expérience post-achat, les consommateurs pouvant « jouer » avec les produits qu’ils viennent d’acquérir.  

———— ——– Critiques et recommandations ——————–

En réorganisant et consolidant son modèle, la Ruche qui dit Oui s’est garanti un franc succès, s’adaptant aux attentes des consommateurs et aux nouvelles tendances de marché. Néanmoins, certaines limites peuvent être soulevées, concernant surtout la mise en place du service de livraison.

La mise en place en Ile-de-France d’un service de livraison tout en conservant les 160 Ruches physiques déjà existantes peut en effet constituer une contrainte en termes de logistique. Les responsables des ruches doivent gérer ces deux moyens en même temps. Sachant qu’avec les deux confinements consécutifs, de plus en plus de consommateurs se tournent entièrement vers la livraison à domicile, l’entreprise pourrait envisager de ne faire que de la livraison en Ile-de-France. Pour autant, faire disparaitre les Ruches physiques pour ne faire que du dématérialisé constitue un risque pour l’entreprise de perdre son identité et sa dimension expérientielle « physique ». L’entreprise est donc dans un entre-deux. Pour le moment, le concept ainsi consolidé fonctionne très bien, mais à la sortie progressive de la crise du Covid-19 peut-être l’entreprise devra-t-elle s’interroger à nouveau sur cette question.

Par ailleurs, si l’entreprise a fait le choix de racheter le Comptoir Local en Ile-de-France, les autres Ruches du territoire français ne peuvent en dire autant. Peut-être manque-t-il de cohésion globale, Paris profitant de son propre site internet « à la maison » contrairement aux autres villes. Les Ruches provinciales doivent se débrouiller elles-mêmes si elles souhaitent elles aussi se lancer dans la livraison à domicile ; ce qui constitue par ailleurs une grosse charge pour le responsable de ruche.

Cette innovation dans le service de livraison à domicile est sans aucun doute porteuse de succès. L’entreprise doit cependant maintenant veiller à bien consolider ce concept en le démocratisant à l’échelle du territoire : d’une part pour s’assurer d’une cohérence globale sans s’auto-centrer sur la capitale, d’autre part pour appuyer les initiatives des responsables de Ruches qui souhaitent s’y lancer sans les laisser seuls avec eux-mêmes. Ceci peut se faire par exemple par un partenariat avec une société de livraison nationale, contrairement au Comptoir Local qui ne s’adresse qu’aux franciliens.

La livraison à vélo est aussi à exploiter davantage par la maison-mère puisque c’est un moyen de transport écologique qui serait en harmonie avec les valeurs de l’entreprise. Tout en restant vigilante sur l’ubérisation du système qui nuirait à l’image de marque de l’entreprise.

Une autre recommandation serait de proposer une personnalisation des produits aux consommateurs pour les rendre encore plus acteurs et proches de producteurs. Cette personnalisation, initiée par C’est qui le Patron ?! répond à un désir croissant « d’empowerment » des consommateurs, selon l’article « CQLP ?! les enjeux de la mobilisation des consom’acteurs » » par Sophie Renault (2019, Annales des Mines, CAIRN). Le consommateur choisit la composition, la provenance et le prix de vente du produit pour satisfaire ses attentes et valoriser le salaire du producteur. Ainsi, en devant membres, les clients des Ruches pourraient participer à l’élaboration des prochains produits en discutant avec les producteurs qui restent à l’origine de la création du produit. Cette offre permettrait d’engager encore plus les acteurs de l’entreprise, et bénéficierait également d’un effet d’annonce pour attirer de nouveaux clients.

Enfin, l’entreprise devrait communiquer son chiffre d’affaires, et globalement ses résultats financiers sur son site web. En tant qu’entreprise de l’économie sociale et solidaire, la Ruche qui dit Oui se doit d’être totalement transparente, manque qui lui avait d’ailleurs valu ses premières critiques avant de consolider son modèle.

Agathe Maury

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