Malgré un contexte sanitaire morose pour la plupart des secteurs économiques, l’industrie du luxe continue de tirer son épingle du jeu en affichant une diminution de sa croissance plus faible que prévue et un retour à une croissance d’environ 15% dès 2021 selon Bain & Company (Bain & Company, 19ème édition de l’étude mondiale du marché des produits de luxe 2020, Paris, Novembre 2020). La crise sanitaire marque également un signal fort quant aux nécéssaires changements que doivent opérer les grandes Maisons pour continuer à séduire une clientèle de plus en plus jeune: le cabinet BCG estime ainsi que les millenials représenteront 50% du marché du luxe d’ici 2025 (BCG, « D’ici 2025, les millenials représenteront 50% du marché du luxe », Paris, Avril 2019). Cette clientèle sensible aux enjeux de développement durable a notamment réellement poussé les Maisons à impliquer davantage la RSE dans leurs stratégies sous peine d’être boycottées et pointées du doigt.
L’avènement du digital et du e-commerce représente également un défi de taille pour des Maisons dont le point de vente symbolise historiquement l’identité de marque ainsi que la vitrine du rêve et de l’exclusif, deux valeurs chères à cette industrie. La COVID-19 a accentué cette tendance puisque les ventes en ligne ont progressé de 11 points entre 2019 et 2020 représentant ainsi 23% des ventes cette année d’après l’étude Bain&Co. Toutefois, la dernière étude BCG (BCG, True luxury global consumer insights 7th edition, Paris, Juin 2020) souligne quant à elle les diverses étapes du parcours client, mettant en lumière le fait que malgré une forte appétence au digital pour la partie recherche et inspiration, en temps « normal » 80% des consommateurs réguliers de biens de luxe finalisent leurs achats en boutique afin de bénéficier d’une expérience unique et personnalisée.
L’expérience est en effet une caractéristique majeure qui permet de différencier l’industrie du luxe des autres secteurs: les valeurs d’exclusivité, de rêve, d’excellence que véhicule le secteur ainsi que ses caractéristiques émotionnelles et ostentatoires fortes font de la distribution un enjeu majeur des stratégies des Maisons. Face à une industrialisation massive du secteur avec des biens de plus en plus abordables et produits en grandes quantités, la problématique de l’exclusivité et de la justification de prix élevés est soulevée: désormais, le luxe est assimilable à un secteur industriel produisant dans des usines souvent délocalisées en contradiction avec l’essence même du secteur historiquement basé sur l’artisanat, la tradition et l’exclusivité. Afin de répondre à cette problématique et de se re légitimer aux yeux des clients, le secteur du luxe fait de plus en plus appel à des stratégies d’artification définies comme le « processus de transformation du non-art en art, résultat d’un travail complexe qui engendre un changement de définition et de statut des personnes, des objets et des activités » (Nathalie Heinich, Roberta Shapiro, De l’artification. Enquêtes sur le passage à l’art, Paris, Editions HESS, 2012 p.20) . Ces stratégies s’illustrent par exemple à travers des produits exclusifs, fruits de collaborations entre artistes et Maisons, mais également à travers des points de vente qui deviennent des lieux de vie conçus par des artistes afin d’apporter une expérience supplémentaire au client et de le faire revenir en boutique.
En quoi l’artification des points de vente de la Maison Louis Vuitton est-elle une stratégie de distribution novatrice et pertinente afin de proposer une expérience inédite aux consommateurs ?
Une étude documentaire basée sur des articles de littératures en marketing mais également des articles de presse, permettra d’expliciter la stratégie de distribution de Louis Vuitton. Elle permettra également de mettre en lumière l’importance de l’expérience dans le domaine du retail dans le luxe à l’heure où le client a besoin de se reconnecter à l’univers de la Maison dans un contexte de profondes mutations de cette industrie.
ANALYSE DE L’ENVIRONNEMENT
Louis Vuitton, Maison principale du groupe LVMH, est une Maison historique parfaitement implantée sur le marché du luxe au niveau national et mondial. D’après une étude Kantar sur le marché du luxe, la marque est ainsi la première du classement en termes de valorisation (51,78 milliards de dollars) soulignant son succès sur le marché.
Le marché du luxe répond à des codes bien précis avec des facteurs clés de succès indispensables pour la réussite de la marque. Cependant, depuis quelques années certaines marques se positionnent sur le segment du luxe tout en étant des digital natives ou en ne répondant pas aux codes du luxe traditionnel. Certains facteurs clés de succès restant néanmoins nécessaires pour s’imposer sur ce marché:
- La mise en avant d’un savoir faire traditionnel
Historiquement, les Maisons de luxe se sont différenciées grâce à une production artisanale, avec des matériaux nobles et un circuit court grâce à des usines implantées nationalement. La mondialisation et la clientèle grandissante des produits de luxe a modifié ce paradigme avec une production centrée moins sur la mise en valeur de l’artisanat au profit de la valorisation de la qualité. Louis Vuitton, Maison française historique de maroquinerie fondée en 1854, remet aujourd’hui l’artisanat au centre dans ses campagnes de communication afin de renouer émotionnellement avec une clientèle traditionnelle.
- L’exclusivité et la rareté de chaque produit
Un des piliers du secteur du luxe et donc, par extension, un facteur clé de succès pour les marques est la rareté de chaque produit qui représente un levier de désir pour le consommateur. Si on reprend la définition des biens de luxe selon l’économiste Bernard Dubois, professeur à HEC, ce sont « des objets ordinaires pour des gens extraordinaires mais également des objets extraordinaires pour des gens ordinaires » (Sophie Peters, « Quand le luxe se joue des apparences », Les Echos, Mai 2007). Cette définition relativement restrictive du luxe souligne néanmoins l’exclusivité, la rareté et la charge émotionnelle associés à chaque produit de luxe.
- Une expérience client inédite
Enfin, un autre facteur clé de succès à ne pas négliger, et la qualité de l’expérience que la marque doit proposer au consommateur. En effet, toujours dans une optique de véhiculer le rêve et l’exclusivité, les Maisons doivent mettre en place des stratégies personnalisées afin que le client se sente unique et soit fidèle à la marque. Dans le cas des marques de luxe, l’expérience client doit être optimale dans toutes les étapes du parcours client mais, dans ce devoir, ce sera seulement l’expérience client dans le point de vente qui sera étudiée. Comme je l’ai abordé précédemment dans l’introduction, le point de vente est au centre de la stratégie puisqu’il traduit en réalité l’identité de la Maison et ses valeurs, deux principes qui justifient entre autres les prix du luxe.
PROBLEMATIQUE ORGANISATIONNELLE: Louis Vuitton, une des premières Maisons de luxe à avoir autant introduit l’art dans sa stratégie de distribution afin d’accentuer l’expérience client dans un contexte de digitalisation et d’accélération du e-commerce.
Les points de vente dans le secteur du luxe jouent toujours un rôle primordial étant donné que 80% des clients réguliers finalisent leurs achats en boutique: en effet, cette dernière est un lieu privilégié de contact entre le consommateur et la marque qui véhicule une identité à travers son point de vente. L’industrie du luxe adopte donc une stratégie de plus en plus omnicanal répondant au principe ROPO (Research Online Purchase Offline) où le point de vente reste encore un élément majeur de la distribution.
Ce tableau, issu d’un ouvrage spécialisé dans les stratégies de distribution des marques de luxe, dégage deux tendances principales: d’une part, un regain d’intérêt pour les magasins monomarques (au détriment des grands magasins) ainsi qu’une appétence de plus en plus prononcée pour le e-commerce. Ces chiffres soulignent ainsi la remise au centre des points de vente en propre des Maisons dont la principale problématique organisationnelle est de faire venir le client afin que ce dernier puisse bénéficier d’une expérience inédite.
Christian Blanckaert, ancien PDG d’Hermès et administrateur d’un certain nombre de marques de luxe, a étudié les stratégies de distribution de ce secteur postulant que « le client doit à la fois reconnaître la maison partout dans le monde et, en même temps, être étonné ». Cette situation résume bien la problématique des Maisons de luxe quant à l’introduction de stratégies disruptives et innovantes dans le domaine de la distribution. Les Maisons de luxe ont ainsi choisi de manière générale d’avoir recours à l’art afin d’étonner le client, et de transformer leurs points de vente en véritables musées où des oeuvres d’art sont exposées afin d’améliorer considérablement l’expérience client et son impression d’être dans un lieu unique.
En 2019, Louis Vuitton possède environ 470 points de vente en propre à travers plus d’une soixantaine de pays dans le monde. Ils sont localisés sur les plus « belles » artères de chaque ville afin d’avoir une visibilité importante et de se positionner en tant que marque prestigieuse. Parmi ces points de vente, certains sont considérés comme des vaisseaux amiraux (« flagship stores »), réelles vitrines de la Maison situées dans les villes majeures et dont le but est de refléter l’identité et l’exception de la marque: ainsi les bâtiments sont construits par des architectes stars dans des lieux d’exceptions (ex: Champs Elysées ou Place Vendome à Paris, Gangnam à Séoul, New Bond Street à Londres, à Osaka au Japon etc…). Ils ont ainsi une réelle fonction d’engagement du client envers la Maison.
Ces points de vente exceptionnels vont de paire avec une expérience client inédite que je développerai dans les choix stratégiques de la Maison qui peut aller de pièces exclusives à des expositions d’art en passant par des lieux tels que des restaurants gastronomiques à l’intérieur des points de vente. Au delà d’être une vitrine de la magie et du rêve que souhaite véhiculer Louis Vuitton, le point de vente devient un véritable lieu de vie pour le client qui a une expérience de vie qui va bien au delà d’un simple achat d’un produit de luxe. L’expérience permet en effet de stimuler le consommateur grâce à des canaux multisensoriels (visuel, auditif ou encore le toucher) qui augmente le temps qu’il passe en point de vente et donc in fine sa propension à l’achat. Le contrôle de l’expérience « Louis Vuitton » en points de vente est possible grâce à un réseau succursaliste qui permet notamment de « respecter l’uniformité du concept », de « faire évoluer le concept plus rapidement » et également de « maintenir les standards de qualité ».
Face aux défis de l’accroissement de l’importance du e-commerce, du développement d’une multitude de marques se positionnant sur le secteur du luxe et d’une perte de légitimation des Maisons quant à leur savoir-faire et leur tradition, il est important qu’elles se renouvellent notamment à travers leur réseau de distribution. Plusieurs articles mettent en lumière la nécéssaire transmission d’une expérience allant bien au delà de l’achat afin de renouer avec des valeurs de tradition et d’exception. Un article de recherche (Batat Wided, « Transforming Luxury Brand Experiences through Artification: A Marketing and Consumer Research Perspective », Marché et organisations, 2019/2 (n° 35), p. 135-151.) portant sur la nécéssaire innovation qui doit avoir lieu dans le secteur du luxe met ainsi l’accent sur « l’influence positive de l’esthétique comme une expérience sensorielle relative à l’art ».
CHOIX STRATEGIQUES
Louis Vuitton a ainsi décidé de réinventer son réseau de distribution en créant des points de vente « artifiés » afin de faire revenir le consommateur en boutique et de lui garantir une expérience client inédite. Le rapport annuel 2019 de LVMH, maison mère de Louis Vuitton met en valeur « une transformation qualitative du réseau de distribution de Louis Vuitton » (LVMH, Rapport annuel 2019, 2020), soulignant ainsi une réelle transformation de la stratégie de distribution de la marque.
Ainsi, le groupe a décidé de transformer ses « vaisseaux amiraux » (flagship stores) en « Maisons » qui sont de réels espaces culturels où sont présentés les collections haute couture et prêt-à-porter de Louis Vuitton aux côtés d’oeuvres d’art majeures. La marque capitalise ainsi réellement sur une stratégie de différenciation faisant appel à l’art et développant l’expérience sensorielle du consommateur. L’extérieur du point de vente est déjà une prouesse en lui même puisqu’il est conçu par des « architectes stars » transformant le point de vente en musée.
La Maison Louis Vuitton de Séoul, ouverte depuis octobre 2019 (lieu stratégique pour la marque qui souhaite se développer dans ce nouvel eldorado du luxe), a ainsi été conçue par Franck Gehry et accueille régulièrement des expositions dignes des plus grands musées. Ainsi, à l’ouverture du point de vente, les clients ont pu assister à une exposition de sculptures d’Alberto Giacometti (synergie avec la Fondation Louis Vuitton de Paris qui possède des oeuvres d’art des plus grands artistes actuels). Ce modèle de Maison se développe dans les grandes capitales mondiales avec une diversification de nouvelles expériences comme l’ouverture d’un restaurant gastronomique au sein de la boutique d’Osaka au Japon. Ce dernier est accessible seulement sur invitation et peut accueillir à peine 24 convives à la fois renforçant le sentiment d’exclusivité et de privilège que peut ressentie le client face à une telle expérience. C’est ainsi le symbole d’une stratégie expérientielle expérimentée en point de vente afin de créer de la valeur et des émotions chez les clients.
Ce nouveau concept de distribution, dont l’art est le principal moteur, contribue donc à un nouveau type de marketing qui « est défini en résonance avec l’art » (Hanania, Yves, « Les marques de luxe font appel à l’art pour booster leur marketing », Harvard Business Review, Juin 2015) et désormais appelé « art keting ». Il se retrouve dans l’intégralité du marketing mix dont la partie « Placement » qui correspond au choix du réseau de distribution. Le concept d’un point de vente réutilisant les codes de l’art permet donc d’entretenir l’identité et l’image que veut véhiculer Louis Vuitton tout en se différenciant de ses concurrents historiques tels que Hermès ou Dior (même si ces deniers introduisent désormais à leur tour l’art dans leur réseau de points de vente).
La force du réseau de distribution de Louis Vuitton et de ses « Maisons » (nom donné aux flagship stores) réside également dans l’adaptation de chacune d’entre elles à la culture du pays dans lequel le point de vente est implanté. Ainsi, le merchandising, les oeuvres d’art présentées, l’architecture du magasin ou encore la décoration intérieure seront différents en fonction des villes afin que le client puisse vivre une expérience hors du commun qui lui rappelle toutefois ses valeurs. Tandis que selon les communiqués officiels, la Maison de Séoul (voir photo au dessus) rappelle « l’architecture et la culturelle coréenne » (LVMH, Inauguration du magasin Louis Vuitton Maison Séoul: la célébration d’une prodigieuse collaboration avec les architectes Franck Gehry et Peter Marino, Octobre 2019), la Maison de Paris fait écho au faste historique du « Roi Soleil » et la Maison d’Osaka représente les voiles des navires traditionnels japonais et rend également hommage à la culture des origamis.
Louis Vuitton a donc fait le choix d’innover dans sa stratégie de distribution face à une appétence de plus en plus forte pour le digital et le besoin d’une re légitimation de l’expérience de l’achat d’un produit de luxe face à la massification de la production. Le secteur du retail dans le luxe est soumis à d’importantes innovations, notamment quant au développement du « smart retailing » et d’une expérience qui doit être phygitale pour le client; néanmoins ce devoir porte exclusivement sur la stratégie d’artification des points de vente de Louis Vuitton. Ce choix permet ainsi une reconnexion émotionnelle avec un client qui désire être au coeur d’une expérience inédite. Les recherches universitaires dans le domaine du retail approuvent donc cette approche puisque les articles reconnaissent « la valeur du marketing expérientiel qui inclue le sensoriel et l’amusement comme une source de satisfaction pour le consommateur, particulièrement dans la distribution du secteur du luxe où les clients sont fortement attirés par la dimension émotionnelle de l’art » (Batat Wided, « Transforming Luxury Brand Experiences through Artification: A Marketing and Consumer Research Perspective », Marché et organisations, 2019/2 (n° 35), p. 135-151.)
LITTERATURE
Dans son article « Andy Warhol l’avait prédit: les magasins de luxe deviennent des musées » (De Lassus, Christel « Andy Warhol l’avait prédit : les magasins de luxe deviennent des musées… », Colloque Etienne Thill, Paris, 2015), Christel de Lassus s’intéresse au lien entre l’art et la distribution. En reprenant une citation du chef de file du pop art Andy Warhol postulant que “les grands magasins deviendraient des musées et les musées des grands magasins », la professeure s’intéresse dès 2015 aux conséquences managériales de l’art dans le secteur de la distribution (et notamment dans le luxe). Elle décrit ainsi le point de vente comme un espace hybride où l’art apporte une réelle valeur ajoutée à un point de vente où l’expérience client est primordiale.
Ce carré sémiotique résultant de sa recherche permet de comprendre en quoi l’art est significatif dans une stratégie de distribution efficace pour les marques de luxe. Il souligne ainsi la nécéssaire utilisation de l’art en magasin pour pallier à des produits de luxe omniprésents et très accessibles. Cette stratégie s’applique ainsi parfaitement à Louis Vuitton qui propose des produits « d’entrée de gamme » très accessibles et très prises du fait de la toile monogramme dont l’aspect est directement reconnaissable par autrui. L’introduction d’oeuvres d’art – par définition uniques – dans les points de vente permet de remettre au centre de la stratégie de distribution l’aspect exclusif et inédit de la Maison. Ce travail universitaire sur le lien entre art et distribution permet donc de comprendre de quelle manière l’art dans les points de vente est primordial pour recréer un sentiment d’unicité chez le consommateur.
Delphine Dion a également beaucoup contribué à la littérature concernant les stratégies de distribution des marques de luxe: elle a notamment rédigé un article sur la sacralisation des points de vente (Dion, Delphine, « Processus de sacralisation des magasins de luxe », IAE de Paris, Mars 2015) et un autre sur les stratégies retail du secteur du luxe qui parviennent à mélanger art et magie (Dion, Delphine, ARNOULD, « Retail Luxury Strategy : Assembling Charisma Through Art and Magic”, Journal of Retailing, n°87, Décembre 2011). Ces articles ont prédit l’impact de l’art sur les stratégies retail dans le luxe et permettent d’éclairer de manière théorique les choix stratégiques de Louis Vuitton. Elle met notamment en évidence que l’expérience crée dans un point de vente contribue à donner de la valeur aux objets explicitant ainsi le souci du détail de Louis Vuitton dans sa construction de ses points de vente. D’autres chercheurs vont plus loin en postulant que les points de vente sont en eux même une oeuvre d’art: « Louis Vuitton n’utilise pas l’art contemporain comme un thème mais plutôt transforme ses flagship en art et sont expérimentées comme telles par les consommateurs » (JOY, Annamma, JIANFENG WANG, Jeff, CHAN, Tsang-Sing, SHERRY, John, CUI, Geng, “M(art) worlds: consumer perceptions of how luxury brand stores become art institutions”, Journal of Retailing, n°90, Mars 2014) . La stratégie de distribution décrite dans cette article éclaire ainsi parfaitement les choix de Louis Vuitton quant à la collaboration avec des architectes stars pour construire les boutiques comme il en est de mise pour la construction des grands musées à travers le monde.
Dans son article « Retail Luxury Strategy: Assembling Charisma Through Art and Magic » publié dans le Journal of Retailing, Delphine Dion met en évidence plusieurs tendances expliquant l’utilisation de l’art comme une stratégie de distribution au service de l’expérience client. Elle soulève ainsi le fait qu’un artiste soit une source de légitimité pour une marque de luxe lui permettant de confirmer le côté magique et exclusif qu’elle renvoie. Cet argument éclaire donc la stratégie de Louis Vuitton implantant des oeuvres d’art aux côtés de ses collections afin de stimuler le consommateur et mettre l’accent sur le caractère « sacré » et « rare » d’un achat de luxe. Elle met également en évidence les mécanismes semblables à la muséologie qu’on retrouve désormais dans le merchandising des magasins de luxe. Louis Vuitton fait ici aussi figure d’exemple avec des produits exclusifs mis en avant, des « distances de sécurité » à respecter face à ces produits etc. Elle met enfin en valeur ce procédé d’artification des points de vente pour légitimer la valeur des produits de luxe en postulant que « un simple contact entre un produit de luxe et le monde de l’art signifie que le premier peut acquérir les caractéristiques du dernier ». Encore une fois, Louis Vuitton, dans sa quête d’assimilation à l’art fait appel à des artistes pour créer des oeuvres in situ spécifiques au point de vente. Ainsi, l’artiste James Turell a par exemple réalisé une installation dans l’ascenseur du magasin des Champs Elysées et est souvent invité à réaliser des oeuvres d’art pour certains des points de vente du groupe.
Enfin, la stratégie de Louis Vuitton fait écho à la « roue luxpérientielle », concept théorisé par Wided Batat afin de mettre en valeur l’importance de l’expérience client dans le secteur du luxe qui promet « une expérience transformative où l’individu s’engage dans un processus d’accomplissement de lui même » (BATAT, Wided, « Fidéliser ses clients grâce à la roue luxpérientelle », Harvard Business Review). Afin de mettre en lumière la stratégie de Louis Vuitton par rapport à la théorie, j’ai décidé de présenter sous forme de tableau les arguments théoriques et la mise en pratique de Louis Vuitton. Malgré la multitude des dimensions de la roue luxpérientielle, dans le cadre de ce travail il est surtout important de souligner la dimension de l’environnement et celle du personnel.
Argument | Application à Louis Vuitton |
Immersion et multisensorialité de l’environnement => marketing permettant de stimuler les différents sens du consommateur. | « Maisons Louis Vuitton » (les flagshhip) Introduction du « gout » avec le premier café et restaurant Louis Vuitton au Japon. |
Thématisation de l’environnement => création d’une ambiance en rapport avec l’image de la marque et qui soit cohérente avec le positionnement voulu. | Pop up store à Miami (04/12 au 25/01) => installation artistique autour de l’univers du jeu vidéo. Conteners présentant la nouvelle collection avec possibilité de précommande pour les clients. |
Hyperréalité de l’environnement => reconstitution de la réalité. | Maison Louis Vuitton à Osaka => lieu d’exposition des collections, d’exposition d’oeuvres d’art, de restauration etc… le point de vente devient un lieu de vie. |
Dimension humaine avec le personnel => dans le cadre du retail: la force de vente. | Formation de la force de vente pour qu’ils participent à la création d’une expérience inédite et personnalisée pour le client avec l’avènement du Smart Retailing notamment. |
La littérature spécialisée en marketing et en distribution fait donc écho à la stratégie de Louis Vuitton et permet de mieux l’appréhender et d’en comprendre les mécanismes. L’artification des points de vente de Louis Vuitton et cette transformation progressive du réseau de distribution de la marque, permet ainsi de rélégitimer la Maison grâce à une expérience client inédite obéissant aux mécanismes de la roue luxpérientielle.
RECOMMANDATIONS ET LIMITES
Une des principales limites qui me vient à l’esprit suite à l’étude de la stratégie de distribution de Louis Vuitton est justement le risque que le point de vente se transforme réellement en musée avec l’attraction de curieux et de passionnés d’art plutôt que de consommateurs de la marque. De plus, ces « Maisons » qui sont de l’ordre d’une vingtaine à ce jour, sont seulement implantées dans les villes majeures voire exclusivement seulement dans les capitales. Il pourrait ainsi être pertinent d’introduire l’art à l’échelle de tous les magasins Louis Vuitton pour respecter l’unicité des différents point de vente de la marque même si c’est de manière moins grandiose que dans les flagship stores.
Le personnel de vente, en contact avec le consommateur, est tout autant primordial que la structure du magasin pour garantir une expérience client optimale. D’après les différents articles que j’ai pu lire dans le cadre de ce travail et mes expériences personnelles, il serait pertinent pour Louis Vuitton de former son personnel de vente aux installations artistiques des divers points de vente. Ainsi, au delà de diffuser un discours engageant sur l’identité et l’univers de la marque, les conseillers clientèles pourraient intégrer la portée du message artistique au storytelling autour de la Maison Louis Vuitton. Cela résulterait en un engagement plus fort du consommateur envers la marque.
Enfin, à l’heure de la montée de défis importants pour le monde du luxe tels que le digital ou une demande de plus en plus forte pour des produits respectueux de l‘environnement, l’art ne suffira plus pour re légitimer le luxe aux yeux des Millienials qui s’engagent de plus en plus pour différentes causes. La stratégie de distribution des Maisons de luxe doit donc continuer à être novatrice en intégrant le digital de manière de plus en plus poussée dans ces points de vente, en utilisant la data au service de la personnalisation de l’expérience client. De plus, au delà d’utiliser l’art comme vecteur de la magie et du rêve, les Maisons peuvent par exemple mettre à l’honneur dans leurs points de vente leurs engagements sociétaux et environnementaux Cet aspect là du story telling des marques permettrait de renforcer leur aura tout en renforçant la relation avec le client.
Le luxe est donc un secteur novateur en termes de stratégies de distribution puisque les consommateurs sont, par essence, toujours à la recherche de nouvelles expériences en points de vente. Ce dernier, vitrine et porte drapeau de la marque, est nécéssaire afin de transmettre les valeurs de rêve, de magie, d’exclusivité et d’excellence véhiculées par le secteur du luxe. Le secteur du luxe est donc à suivre de près afin d’analyser les innovations retail liées à la nécéssaire reconnexion avec le client.